La masse et l’élite

La masse se pousse par le fouet ou s’entraîne, se manipule, par l’idéal : cette dernière solution est plus moderne, c’est elle que les « démocraties » ont choisie. Tocqueville, qui a parfaitement analysé et compris l’affaire démocratique, aurait dû être lu par des millions de Français. S’ils l’avaient fait, le visage de leur pays en aurait été transformé. Ceux qui le tiennent n’ayant pas intérêt à ce que ce soit le cas, on comprend que cet auteur ne soit pas démocratisé dans la masse ; mieux vaut lui donner du roman de gare et du Plus Belle La Vie à la tv… « Non seulement la démocratie fait oublier à chaque homme ses aïeux, explique Tocqueville, mais elle lui cache ses descendants et le sépare de ses contemporains ; elle le ramène sans cesse vers lui seul et menace de le renfermer enfin tout entier dans la solitude de son propre coeur ». Et la démocratie contemporaine est fondée sur le sacro-saint égalitarisme que l’on vend à la masse (l’oligarchie est au-dessus de ça).

La Démocratie et l’Égalitarisme sont donc destructeur du lien social de la « philia » (l’appartenance à un groupe social – la force d’attraction, du qui se ressemble s’assemble), et cela dans l’espace certes mais aussi dans le temps. Exit la solidarité ethnique, République et Démocratie ont besoin d’un citoyen seul et nu sans défense face au Léviathan étatique. Dans Principes de la philosophie du droit, Hegel dit que « les individus composent la masse… le peuple est la masse informe… une foule atomistique d’individus ». Le mot « masse » est aussi utilisé par Tocqueville tandis que Durkheim emploie de son côté le concept de « masse sociale ». Le peuple se retrouve composé d’atomes qui forment comme une masse de grains de sable. Merveilleux allié que le peuple, on se sert de lui, et on ne lui doit rien. Comme on l’a vu dans notre article Famille, République, et Démocratie, cette dernière n’accorde pas de reconnaissance politique aux communautés naturelles : la famille, l’ethnie. Ce n’est évidemment pas un oubli. La démocratie postule qu’il y a « masse » dans la mesure où il y a un tout homogénéisé par l’égalitarisme, et la République ne reconnaît que des citoyens indistincts. On voit à la société multiraciale que l’homogénéité de la population n’existe que dans la cervelle de ses théoriciens, combien la réalité ethnique, culturelle, en est éloignée. L’Ancien Régime distinguait des ordres et des métiers, qui avaient une représentation politique en tant que tels. C’était incompatible à la République et son lit de Procuste, qui avançant avec un masque de défenseur des droits du peuple, interdira par la loi Le Chapelier en 1791 toute association entre personnes d’un même métier et toute coalition ouvrière.

Quant à l’élite… L’histoire de tous les temps montre qu’elle est toujours minoritaire. Sans doute y a-t-il une question d’éducation. Comme l’éducation est porteuse de pouvoir et que les désirs de connaître et de pouvoir sont infinis par nature, l’instruit a les moyens de contraindre le sot à l’aider à monter davantage. C’est ce qui fait la carrière d’un politique, de son premier mandat local jusqu’aux sommets. Il a été mille fois remarqué que les plus intelligents sont souvent en même temps les plus beaux, en bonne santé et riches, tandis que d’autres cumulent les malheurs aux tares. Nietzsche l’a remarqué, disant que « la nature, qui n’est ni chrétienne ni socialiste, pour la raison qu’elle est profondément juste, fortifie le fort et affaiblit le faible, enrichit le riche et appauvrit le pauvre, améliore la santé de celui qui est sain et multiplie les maladies du malade. Un malheur n’arrive jamais seul dit la sagesse populaire. C’est que la nature n’aime pas les malheureux. Elle est éprise de bonheur, de santé, de beauté, de force, bref, de qualité. Ce qui est malheureux, elle le rend plus malheureux encore, jusqu’à disparition définitive ».

Mais revenons à notre sujet. Ces lois sont statistiques de sorte que si, pour une population donnée, on représentait le spectre des performances pour chaque qualité, on obtiendrait à chaque fois la fameuse courbe en cloche de Gauss qui signifie, que 5 % de la population sont très bons, 5 % très mauvais et 90 % proches de la moyenne. L’élite s’auto-reproduit, et elle est très consciente d’elle-même et de sa supériorité, donc de l’infériorité du troupeau pour lequel occasionnellement elle laisse fuiter son mépris moqueur (les « sans-dents de François Hollande, les « gens qui ne sont rien » d’Emmanuel Macron). Cette conscience aigüe qu’a l’élite de sa différence a pour conséquence qu’elle joue dans l’arène politique le jeu démocratique sans y croire. Son irrésistible quête de l’accomplissement de sa propre nature – diriger – la contraint à se soumettre à un cérémonial que son intelligence lui dit être faux. L’élite sait qu’en l’absence d’ordre moral publiquement reconnu, les charges politiques lui seront attribuées, non sur sa vertu, non même sur ses capacités à remplir les devoirs de ces charges, mais sur son habileté à persuader la masse de les lui confier. Il ne s’agit absolument pas d’être un homme intègre ou compétent, l’intégrité n’a aucun sens dans un régime qui ne professe pas de morale. « Pour attirer à soi les masses, déclare ouvertement Léon Blum dans le quotidien Paris-Soir en 1939, il faut au moins se donner la peine de les duper ». Il s’agit de gagner les élections. La démocratie devient le régime des flatteurs. Et Louis Boyard ou Ersilia Soudais, investis chez La France Insoumise, dont la seule compétence a été de savoir flatter le troupeau de cons des circonscriptions sur lesquelles ils étaient alignés, devinrent députés.