Deux approches du traitement de la délinquance

Approche réaliste, approche idéologique, on retrouve cette alternative en matière de délinquance et de criminalité. Traditionnellement la droite adopte la première attitude, et la gauche la seconde. Pour les conservateurs, les désordres qui mettent en danger la sécurité des honnêtes gens doivent se traiter en termes de morale. Voleurs et criminels sont des malfaiteurs, des crapules, des monstres, des pervers dans tous les cas, qui ne méritent aucun effort de compréhension et aucune forme de pitié. Ils sont coupables et doivent être châtiés, tout simplement. La répression est la seule réponse appropriée tant pour faire cesser le trouble qu’ils provoquent que pour défendre nos valeurs civilisatrices. Car l’exemplarité des châtiments exerce une force dissuasive qui protège les personnes, les biens, la paix publique.

Mais la criminalité – toujours en augmentation – n’est pas seulement due à la faiblesse de la répression, elle est également provoquée par le laxisme de l’éducation, la contestation de la morale, la démission des parents, le relâchement des mœurs. On ne saurait donc la supprimer sans inculquer à tous le respect des principes qui interdisent d’attenter aux propriétés d’autrui et, à plus forte raison, d’agresser son semblable. 

N’allez pas objecter que cette approche demande à être complétée sur le plan social et psychologique, qu’il faut s’efforcer de mieux comprendre la délinquance afin de la combattre plus efficacement. C’est ce que fait déjà le système judiciaire et pénal depuis quatre-vingts ans et l’on voit à quel résultat cela a abouti. En la matière, comprendre c’est expliquer, et une capitulation est essentiellement une opération par laquelle on se met à expliquer au lieu d’agir. Pour les cerveaux de bon sens, il y a davantage matière à comprendre l’exaspération des honnêtes gens. Il est évidemment anormal, scandaleux, que l’on fasse preuve d’une telle complaisance vis-à-vis des crapules et d’une telle indifférence à l’égard de leurs victimes. Et quand vous aurez « compris », vous découvrirez que ce sont les voleurs qui sont des malheureux et les volés qui sont les coupables. On connaît la chanson. Il n’y a rien à comprendre du tout. Il existe une morale, des lois qui qui s’appliquent à tous. Ceux qui ne veulent pas s’y soumettre sont des malfaiteurs et doivent être punis. Plus vous voudrez les « comprendre », et plus ils recommenceront, jusqu’à ce que face à l’État défaillant les « honnêtes gens » perdent patience, sortent les fusils et se chargent de faire régner l’ordre et la justice. Pour les partisans de la chienlit, ces facteurs criminogènes sont tout droit sortis de l’imagination fertile des fachos et des racistes, ils n’existent pas, tout cela n’est qu’un « sentiment ». On connaît la chanson là aussi. La vérité, c’est que tous les individus sont libres et égaux face à la norme morale : les bons la respectent, les mauvais la violent, un point c’est tout. Et si des gens ne sont pas capables de vivre selon notre norme morale, s’ils n’ont pas « les codes » selon leurs défenseurs gauchistes, il faut à plus forte raison ne pas les importer sur notre sol. Les considérations sociologiques trouvent toujours de bonnes raisons à la canaille et de mauvaises à la société. En France, derrière chaque crapule on trouve un sophiste armé d’une éponge. Pour paraphraser une célèbre scène cinématographique de Western, le monde se divise en deux catégories, le parti des honnêtes gens qui livre bataille au parti du vice, dans lequel la pensée gauchiste évolue comme un poisson dans l’eau.

La gauche considère que la délinquance est liée à un certain nombre de facteurs économiques, sociologiques, urbains, familiaux, psychologiques, et que l’on n’en viendra pas à bout sans remédier à ses causes. C’est affaire de prévention plus que de sanction, de compréhension plus que de répression, d’éducateurs plus que de policiers, d’action locales plus que de réglementation générale, de progrès sociaux plus que de discours moralisateurs. Cette approche est franchement rébarbative. Les millions de citoyens qui se font un mérite de respecter la loi et l’ordre se voient brutalement remis à leur place : ils se croyaient vertueux, ils ne sont que privilégiés. Leur bonne conduite n’a rien que de très ordinaire dès lors qu’ils n’ont pas eu un père illettré, misérable, chômeur, une mère prostituée, toxicomane, psychotique, qu’ils n’ont pas connu les banlieues malades, les cités pourries, la misère sans espoir et les bandes squattant les cages d’escalier, bref qu’ils n’ont jamais vécu sur ces marges de la société où la délinquance sévit à l’état endémique.

Dans leur aveuglement, les tenants de l’approche idéologique sous-estiment gravement l’exaspération de la population. Ces commerçants qui ne supportent plus les razzias de pillage, ces habitants excédés par un quatrième cambriolage, ces automobilistes rendus furieux par une troisième dégradation de leur véhicule, ces vieilles dames tremblant à l’idée d’une deuxième agression, ont toutes les raisons d’être mécontents. C’est à juste titre qu’ils réclament le droit de vivre en paix et en sécurité. Mais la classe politique « de gouvernement » néglige les troubles qui leur gâchent la vie, tente de faire illusion avec des opérations de terrain momentanées, des « coups de comm’ », sans jamais accepter de faire ce qu’il faudrait pour neutraliser la canaille. Mais les braves gens n’en sont pas quittes pour autant. Après avoir dû restituer leur brevet de vertu, ils doivent aussi produire un certificat d’irresponsabilité. Car cette société qui entretient des foyers criminogènes, c’est la leur, et on ne saurait l’assainir sans les faire en plus participer à l’effort commun. Il va donc falloir payer des impôts supplémentaires pour financer les services sociaux, la rénovation urbaine, l’éducation surveillée, l’aide aux familles… peut-être même s’engager personnellement dans des associations qui vont, sur le terrain, aider les populations en difficulté qui, faute d’être assistées, finiraient dans la délinquance. Charmant programme dont on a soupé jusqu’à l’overdose totale, définitive, sans retour possible.