Le communisme et le monde ouvrier

La mystique est encore tenace, du lien entre le communisme et la classe ouvrière. En réalité, Marx et Lénine se méfiaient beaucoup du monde ouvrier. D’abord parce que selon leurs analyses « la bourgeoisie est la grande classe révolutionnaire de l’histoire » (lire le Manifeste du parti communiste) et qu’il ne faut pas brûler les étapes. Cette bourgeoisie va sécréter dialectiquement le prolétariat. Mais seul, ce dernier n’a pas tout de suite de conscience révolutionnaire. Lénine le répète après Marx : « La conscience socialiste ou révolutionnaire ne pouvait venir que de la classe bourgeoise, des intellectuels, des fondateurs du socialisme scientifique ; Marx et Engels étaient des intellectuels bourgeois » (Lénine Œuvres complètes, Tome IV, p.437). En fait, il n’y eut jamais qu’une faible minorité d’ouvriers à s’engager dans l’action communiste (à ne pas confondre avec l’engagement syndical).

Lénine se méfiait donc des ouvriers. Il se souvenait que le 20 octobre 1876, salle d’Arras à Paris, au premier « Congrès ouvrier de France », on avait refusé l’entrée aux « intellectuels bourgeois » (comprendre : les révolutionnaires) qui ne venaient qu’ « apporter leurs théories et leurs élucubrations au lieu de prendre en compte la réalité et les besoins de la classe ouvrière ». Ce congrès avait défini ces besoins, matériels et moraux, « s’assurer contre la maladie et la vieillesse », il s’agissait d’une action d’inspiration mutualiste dans la tradition ouvrière, sans connotation politique. On était en plein dans ce réformisme vomi par Lénine et ses semblables.

Plus tard, lors de la révolution russe, ce ne fut qu’une dérisoire partie des ouvriers qui se rallia au bolchevisme. Révolution qui ne fut en réalité, comme en France en 1789, qu’un coup d’État réussi, avec une minorité de révolutionnaires professionnels issus notamment de la bourgeoisie, des partis juifs de gauche, et des déserteurs de l’armée et de la marine. Les ouvriers, qui ne comprenaient pas cette révolution et firent souvent grève contre ses conséquences, furent en maintes occasions impitoyablement massacrés.

L’avenir montra que ce sont les révoltes ouvrières de Pologne (certes soutenues par le Vatican et le bloc occidental) et d’ailleurs, qui déclenchèrent l’effondrement du communisme soviétique. Lech Walesa était un ouvrier. Lénine n’avait jamais de sa vie travaillé dans quelque atelier.