Réhabilitez Alexis Carrel !

« C’est l’observation d’un fait très simple qui a été à l’origine de ce livre, le haut développement des sciences de la matière inanimée et notre ignorance de la vie. La mécanique, la chimie et la physique ont progressé beaucoup plus vite que la physiologie et la psychologie. L’homme a acquis la maîtrise du monde matériel avant de se connaître soi-même. La société moderne s’est donc construite au hasard des découvertes scientifiques suivant le caprice des idéologies, sans aucun égard pour les lois de notre corps et de notre âme. Nous avons été les victimes d’une illusion désastreuse, l’illusion que nous pouvons vivre suivant notre fantaisie et nous émanciper des lois naturelles. Nous avons oublié que la nature ne pardonne jamais. Afin de durer, la société et l’individu doivent se conformer aux lois de la vie. » – extrait de la préface américaine de L’homme, cet inconnu, par Alexis Carrel.

Alexis Carrel n’a pas fini sous la devise du Panthéon (« Aux grands hommes la Patrie reconnaissante »). Il a pourtant été jusqu’à la fin des années 1950, avec son livre à grand succès L’homme, cet inconnu, qui trônait dans de nombreuses bibliothèques privées, un auteur et un scientifique reconnu. Puis on s’est mis à débaptises les rues qui étaient à son nom. Qui était-il, et pourquoi ces campagnes de dénigrement ont vu le jour à son sujet ? 

Alexis Carrel est né en 1873 près de Lyon, et il est mort en 1944 à Paris en même temps que la liberté. Il avait fait de très brillants débuts comme chirurgien, et avec la rédaction d’un article marquant sur les sutures musculaires. Il sera aussi un spécialiste des sutures cardio-vasculaires. Il s’est remarquer des autorités de la IIIe République triomphante à l’époque de l’affaire des fiches en 1904 par le fait d’être devenu catholique. Comme de ce fait toute carrière lui était fermée en France, il est parti pour le Canada où suite à une conférence donnée il a été immédiatement sollicité par l’Université de Chicago, avant d’être recruté par la Fondation Rockefeller doté de davantage de moyens pour la recherche médicale. Carrel a été à l’origine des transplantations d’organes. Il a réalisé la première auto-transplantation de rein et le premier pontage cardiaque, avant 1914. Il aura en 1912 le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur la suture vasculaire et les transplantations de cellules sanguines et d’organes.

Comme beaucoup de gens qui avaient été chassés par la République laïque, il est tout de même revenu à l’occasion de la Première Guerre mondiale, pas pour combattre puisqu’il avait passé l’âge, mais pour mettre ses compétences médicales au service de son pays, et il s’est à cette occasion intéressé notamment au traitement des brûlures. Ses méthodes sauveront des milliers de soldats. Il est ensuite reparti aux États-Unis, pour ne rentrer en France qu’en 1939 parce qu’il était atteint par la limite d’âge de la Fondation Rockefeller. En 1935 il publie L’homme, cet inconnu, livre de spécialiste mais destiné à un large public, et qui aura en effet un grand succès.

Tout cela ne nous dit pas pourquoi on nous présente Alexis Carrel comme un personnage odieux, dont il faut taire le nom. Il se trouve qu’il avait connu le maréchal Pétain pendant la Première Guerre mondiale, et il a accepté en 1941 de devenir régent de la Fondation française d’étude des problèmes humains. Dans L’homme, cet inconnu, Carrel se prononce en faveur d’un certain eugénisme. Pour le grand public aujourd’hui conditionné, l’eugénisme, c’est le nazisme, c’est ce qu’on lui a implanté dans la tête, en oubliant qu’une des icônes du panthéon gauchiste, dont le nom, en revanche, trône en France sur des rues, des bâtiments publics, le chilien Salvador Allende, lui aussi médecin, a été un chantre de l’eugénisme. Ce sont les travaux de l’universitaire et docteur en philosophie chilien Victor Farias qui l’ont révélé, par ses recherches minutieuses dans les archives des universités et des institutions médicales du Chili où il a exhumé la thèse de doctorat soutenue en 1933 par Allende à la faculté de médecine de Santiago. Farias a également eu accès aux archives de l’Auswartige Amt, le ministère des Affaires étrangères du III Reich. Salvador Allende, était décrit avec faveur par Berlin comme l’ensemble des ministres socialistes chiliens du gouvernement de Frente popular entre 1939 et 1942. Ministre de la santé, Allende a cherché à faire adopter une loi eugéniste plus radicale encore que celle que l’on a reproché à l’Allemagne hitlérienne. Amnésie malhonnête et partiale de la gauche française sur ce sujet.

Mais Alexis Carrel vit aux États-Unis, et là-bas comme ailleurs, dans l’entre-deux guerres, il y a un très fort courant eugéniste. Le livre Treize à la douzaine de Franck B. Gilbreth Jr et Ernestine Gilbreth Carey, histoire d’une famille nombreuse, douze petits rouquins, contient un chapitre très intéressant dans lequel on voit les parents de cette famille dans leur salon, et deux dames frapper à la porte, ce sont des déléguées de la Ligue eugéniste venant prêcher la nécessité de ne pas avoir trop d’enfants (eu égard aux risques divers, naissance de handicapés, d’anormaux, de déficients, budget nécessaire…), les parents les écoutent poliment, avant d’appeler leurs douze enfants qui dévalent alors l’escalier, créant l’horreur chez ces deux militantes. Le souci pour une qualité de la population qui est dans l’air du temps à l’époque est également illustré par ces propos du génial auteur de romans fantastiques H.P.Lovecraft, « En général, l’Amérique a fait un beau gâchis dans sa population et elle le paiera en larmes au milieu d’une pourriture prématurée, à moins que quelque chose ne soit fait très rapidement. » Tout ceci illustre bien que la pensée eugéniste fait partie de la vie quotidienne dans les années 1930 sans que l’on n’y trouve rien de condamnable, il normal dans l’esprit de nombreuses personnes de veiller à ne pas charger la société de déficients. De même de toutes les campagnes qui dans de nombreux pays ont eu cours depuis le XIXe siècle, lequel avait été celui de la médecine hygiéniste, campagnes menées par les services de l’Etat et des groupes militants, contre l’alcoolisme, contre les logements insalubres, on montrait dans les écoles le poumon d’un citadin et celui d’un campagnard. Dans ce contexte la pensée eugéniste n’avait rien d’extraordinaire, elle visait à l’amélioration comme on le disait à l’époque de la race humaine. Dans L’homme, cet inconnu, Carrel parle d’eugénisme volontaire, il était pour une politique nataliste mais également une relative limitation des naissances pour les gens qui n’auraient pas de quoi élever leurs enfants. La préface de l’édition de 1936 de L’homme, cet inconnu, mentionne qu’en Allemagne des mesures énergiques ont été prises en faveur d’un renouveau qualitatif de la population. Mais Carrel ajoute qu’il faut éliminer les déficients, les criminels, etc. quand ils s’avèrent dangereux, ce qui veut simplement dire qu’il est dans ces cas pour la peine de mort.

Dans son chapitre L’erreur de la Renaissance, titre qui à lui seul vous range dans les négationnistes, Carrel s’en prend à Descartes, vache sacrée de la pensée institutionnelle française, dans la notion de dualisme entre le corps et l’esprit. Dans l’esprit des matérialistes qui nous gouvernent, Carrel est donc suspect puisqu’il n’admet pas que les « Lumières » et la Renaissance aient, selon la doxa en vigueur, mis fin à des siècles d’obscurantisme.

De tout cela, lu avec un regard malveillant, en tirant des phrases de leur contexte et de leur époque, il est aisé après coup de monter un projet de diabolisation. Pourtant qu’est donc sorti des travaux et réflexions de la Fondation française d’étude des problèmes humains fondée en 1941 sous Pétain et dirigée par Carrel ? Des dispositions toujours en vigueur, comme la loi sur la médecine du travail par exemple, le certificat prénuptial, le livret scolaire, et les premiers sondages d’opinion. On voit le degré d’intention malfaisante.

Pour les communistes qui avaient besoin de se blanchir du pacte germano-soviétique et de bien d’autres choses, pour les gaullistes, tout ce petit monde qui lorgnait sur les postes de direction du pays et les prébendes qui vont avec en cas de victoire Alliée, il ne faisait pas bon avoir été un haut fonctionnaire du maréchal Pétain, il fallait déboulonner tous ceux qui étaient là, ce qui fut fait de Carrel à qui on n’a pas pu faire trop d’ennuis tout de même parce qu’Eisenhower avait reçu l’ordre des États-Unis de ne pas laisser toucher à Alexis Carrel qui pour les Américains était un grand homme.