Des girouettes pathologiques

En quarante ans d’observation de la vie politique française, j’ai appris à me méfier du courage électoral des votants de ce pays.

En dissolvant l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron fait sans doute le pari que ce qui s’est passé lors de la présidentielle de 2002 va se reproduire avec l’élection des nouveaux députés. Le 21 avril 2002, les Français éjectaient du second tour le socialiste trotskiste Lionel Jospin, pour placer Jean-Marie Le Pen finaliste face au funeste Jacques Chirac. Et au second tour, après deux semaines d’agitation et de bourrage de crâne intense contre le « F-Haine » sur l’air de « la démocratie en danger », Chirac était élu président avec le score surréaliste de 82,21 % des suffrages exprimés. Les Français s’étaient défoulés, avaient poussé leur « coup de gueule » au premier tour, pour finir incapables de constance dans leur intention à quinze jours d’écart, incapables de concrétiser le vrai changement auquel on pouvait enfin s’attendre du fait du placement de Jean-Marie Le Pen au second tour. Alors on me dira que l’éviction de Jospin du second tour ne relevait pas d’un mouvement massif de ras-le-bol et de large adhésion au programme du FN, que Le Pen ne l’a battu que de 0,68 %, et qu’il était donc aisé de rassembler contre ce dernier au second tour la majorité des queues plates habituelles suivant docilement les fossoyeurs qui se refilent le manche depuis cinquante ans. Cela n’invalide pas la démonstration de la tendance comportementale qui va suivre.

Le Français a fait la démonstration de son état de girouette électorale à la mémoire de poisson rouge, ne fondant jamais son vote sur le bilan du sortant mais sur les promesses du nouveau postulant, et l’on sait ce que valent les promesses de la classe politique « autorisée » à la gouvernance, dans une espérance sans issue de changement par la fausse alternance qu’on lui propose. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer les résultats des scrutins nationaux ci-après, pour constater l’absurdité comportementale d’un électorat capable de prendre tous les deux ans une décision diamétralement opposée à la précédente entre la gauche et les RPR/UMP/LR. Flashback de rappel très éclairant :

– le 21 avril 2002 Jospin était donc disqualifié par l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle. Les Français ne voulaient-ils plus du socialisme ? C’est ce que l’on était alors logiquement en droit de penser, les deux candidats restants étant étiquetés « à droite ». 

– deux ans plus tard, mars 2004, les socialistes accédaient à la présidence de la quasi- totalité des 26 Régions françaises (24 sur 26, dont 20 sur 21 en métropole où seule l’Alsace leur échappait). 

– un an plus tard, 29 mai 2005, le traité constitutionnel européen était rejeté bien qu’il ait été vigoureusement porté par le Parti socialiste précédemment élu dans les Régions avec les exceptionnels résultats que je viens de rappeler. 

– deux ans plus tard, 6 mai 2007, les français mènent au second tour de l’élection présidentielle les deux principaux candidats favorables au traité constitutionnel européen précédemment rejeté, et qui entendent bien le faire adopter d’une façon ou d’une autre. 

– moins d’un an plus tard, après avoir élu un président UMP, la gauche sort renforcée des municipales de mars 2008. 

– quatre ans plus tard, l’électeur incapable de comprendre qu’il tourne en rond, qu’il va en vain d’une face à l’autre de ce Janus systémique renouait avec le rituel magique des « petits papiers » fourrés dans l’urne des lamentations, la tête maintenue dans un purin de crédulité politique, et élisait le socialiste François Hollande.

– pour finir cette errance en 2017 avec le macronisme, synthèse sinistre de tout ce qui a maltraité le pays, renégats du Parti socialiste et de l’UMP ralliant les centristes du Modem pour former le parti présidentiel et aboutir aux sept ans de torture que nous venons de traverser.

Que sortira-t-il de ces législatives des 30 juin et 7 juillet 2024 ? Une majorité de Français va-t-elle enfin avoir les couilles d’aller jusqu’au bout de sa démarche du premier tour ou va-t-elle prolonger sa versatilité maladive pour donner raison à l’occupant de l’Élysée qui pense que les Français pétochards vont « revenir à la raison » après avoir flirté momentanément avec le Diable par bulletin de vote interposé, vont-ils ces Français se laisser impressionner par les manifestations de gauchistes refusant tout autre résultat électoral que le leur, par les appels de tous les « Jean Moulin en plastique », montrer son syndrome de Stockholm et rejouer le moment aussi piteux que pathétique de la présidentielle 2002 ?

Dragi MAJSTOROVIĆ