État des lieux pré-électoral

A ce jour, la gauche est parvenue, comme toujours, à s’unir et à fonder une alliance électorale, malgré ses profonds désaccords, notamment autour de la qualification du Hamas, Glucksmann compris qui le 1er mai dernier affirmait impossible de s’allier à LFI, qui a reçu des insultes antisémites de la part de membres de LFI, et qui s’allie avec eux aujourd’hui, déclarant sur France Inter que la seule chose comptant à ses yeux est que le RN ne gagne pas et ne gouverne pas la France. La gauche a ce pragmatisme dont la droite a jusqu’à présent été incapable de faire preuve. La fin justifie les moyens. Pour la gauche, un seul critère prévaut, et tout s’efface momentanément le moment venu au bénéfice d’une priorité primordiale : battre la droite. Reste à voir ce qu’elle ferait en cas d’accession au pouvoir, tant les divergences sont importantes au sein de cette « union sacrée » carpo-lapinesque de circonstance. En face, entre le refus d’alliance RN/Reconquête, la scission entre Eric Ciotti et la vieille clique des ténors de son parti toujours prisonniers et complices de la consigne mitterrandienne du « pas d’alliance avec les Le Pen », reprise par Chirac qui en avait fait le serment au Crif, verrou qui n’est plus qu’un truc de ces notables has been LR, le possible échec se profile alors que les idées de droite sont pourtant à la porte du pouvoir. Mais d’où vient cet « art du rassemblement » à gauche ?

On entend donc des gens à droite se désoler de cette « alliance de la honte » qui se ferait à gauche entre des gens qui se crachaient dessus il y a dix jour, Raphaël Glucksmann ayant reçu des insultes antisémites de la part de mélenchonistes, et aujourd’hui rassemblé avec ces derniers. Et ils chialent, et ils braillent, et ils s’autoflagellent, nous donnant envie de leur dire mais bande de zozos ! vous avez devant vous des gens qui sont à gauche, capables de s’unir, parce qu’ils font de la politique, parce qu’ils ne sont pas moralement intimidés par le camp d’en face, parce qu’ils savent d’un coup mettre de côté les principes qu’ils affichaient jusque-là pour être capables d’accéder au pouvoir. Il reste cela dit à voir si ce faisant ils renient véritablement leurs principes, mais c’est du moins ce qui est compris dans l’esprit public. Une gauche complètement indifférente aux polémiques médiatiques et aux scandales des uns et des autres. Et en face, une droite qui de longue date n’en finit plus de se lamenter, qui se désole, s’indigne, et qui finalement se met dans la posture idéale qui est celle du futur perdant. Au vu de ce comportement, la longue histoire de l’inféodation de cette droite molle aux idées et aux réalisations de la gauche sous le vocable de social-démocratie, ne semble pas prête de cesser.

Alors d’où vient cette force de la gauche, sa capacité à se rassembler. Tient-elle à se rassembler comme les gens de droite autour d’un programme unanime ? Pas nécessairement. Les socialistes ne veulent pas la même chose que les islamo-gauchistes, lesquels ne veulent pas la même chose que les écologistes dans le détail. Mais ils sont beaucoup plus pragmatiques, capables de transiger entre eux pour l’intérêt d’une cause commune qu’ils jugent supérieure, ils sont aussi unis par une commune aversion. Il ne faut pas sous-estimer dans la psychologie politique de la gauche la place de la haine. Officiellement, ils sont en guerre contre la haine à longueur de temps. Mais ils sont habités par une haine profonde, et c’est la haine de la droite, toujours assimilée à un péril, cléricalisme, fascisme, racisme, libéralisme selon les circonstances. Et la gauche trouve un ciment fédérateur dans cette aversion. Ceci parce que c’est elle qui dans l’espace médiatique réussit à fixer, avec la complicité de ce dernier, ce qu’est le Bien et le Mal. C’est elle qui a le pouvoir de dire quel est l’horizon prétendument légitime de nos sociétés, et que serait une régression. C’est elle qui dit ce qu’elle affirme être un progrès. C’est elle  qui dit ce qu’elle affirme être une décomposition. La gauche a ce pouvoir d’intimidation morale, ce qui fait en sorte qu’elle parvient à se rassembler très facilement contre le camp d’en-face qui lui se laisse toujours dominer. Sa force vient donc de la maîtrise de l’imaginaire « antifasciste », réutilisation depuis les années 1970 de la doctrine des vainqueurs de la Deuxième Guerre Mondiale selon laquelle tout ce qui relève de la nation, de l’histoire, de l’identité, de la culture, relève du fascisme. En 1998, l’historien et politologue Marc Crapez décrivait remarquablement dans son livre Naissance de la gauche suivi de précis d’une droite dominée, comment la gauche réussit à fonctionner quelle que soit la crise : « La gauche est forte en ce qu’elle s’affiche sereinement telle. La capacité de la gauche à être solidaire est d’autant plus accrue qu’elle dispose d’un facteur de mobilisation et de rassemblement sans faille, d’un slogan apte à fédérer l’ensemble de ses composantes : battre la droite. Surtout, la gauche qui par essence est toujours à la recherche d’une nouvelle affaire Dreyfus a trouvé son chemin de Damas en reproduisant le vieux schéma complice de la concentration de toutes les gauches, extrêmes incluses, face à un péril droitier, celui-ci a des noms, hier cléricalisme, comme aujourd’hui racisme ». 

Dès lors que vous avez la maîtrise de la définition du Mal absolu, dès lors que selon les circonstances vous pouvez modifier cette définition, c’est la logique du « No pasaran ! ». Pour cette gauche, l’adversaire n’est jamais un adversaire légitime, c’est le Démon des Enfers qu’il faut reconduire sans son antre fétide, le vocabulaire est connu, sulfureux, nauséabond… sulfureux, qui sent le soufre, c’est le langage de l’enfer, et nauséabond c’est le langage de la décharge, la droite c’est la décharge publique, c’est le dépotoir, on doit s’en tenir le plus éloigné. Voilà sa maîtrise du logiciel idéologique, des codes mentaux que tous ses membres partagent.

C’est aussi la maîtrise des Institutions, ce que les gens ont tendance à oublier. La gauche maîtrise l’Université, surtout en sciences sociales, et l’Université c’est la production des catégories idéologiques qui fixent le savoir aujourd’hui ; elle contrôle les cours suprêmes, Conseil constitutionnel dont on ne compte plus les fois où il s’est manifesté pour casser ce qu’il considère être des décisions de nature populiste, Conseil d’État occupé idéologiquement par le socialisme ; les médias, le service public dont le biais idéologique a été clairement documenté par l’Institut Thomas More ; la société civile, les syndicats ; le syndicat de la magistrature contre lequel une pétition demandant sa dissolution a enfin été lancée, l’ensemble des composantes de la société qui lorsqu’il y a un débat interviennent en criant au scandale et en appelant à la mobilisation dans la rue, pour « faire barrage » ; les milices de casseurs, des milliers de personnes, qu’elle est capable de jeter dans la rue immédiatement, qui entreront en action si « l’extrême-droite » arrive au pouvoir, créant une situation intenable, et la responsabilité de cette violence, comble de la perversité malhonnête, sera mise sur le dos de ceux qui se sont fait élire par une majorité du peuple. Lorsque le peuple se sera prononcé dans les législatives à venir, si l’adhésion d’une majorité de Français se confirme aux propositions du RN, on verra toutes les institutions de la société civile se mobiliser pour tenter de bloquer le choix de la majorité qui dès lors sera traitée comme une collection de mineurs crétins incapables de faire un choix « éclairé ».

La gauche vient de se rassembler et d’annoncer un programme. A qui avons-nous à faire dans cette coalition électorale ? à LFI (La France insoumise) draguant l’électorat des banlieues en brandissant le drapeau palestinien, ce sont les plus militants, avec une véritable culture de l’affrontement médiatique ; aux socialistes, qui ont une culture gouvernementale ce qui n’est jamais inutile ; aux écolos qui ont à la fois une culture militante fanatique et une culture gouvernementale au niveau municipal ; au Parti communiste qui porte une longue tradition sous le signe du stalinisme jamais renié. Le NPA (Nouveau parti anticapitaliste ex-Ligue communiste révolutionnaire) n’est pas signataire, mais son esprit imprègne celui des coalisés, parce que c’est l’aveu d’une radicalité désirée, car la gauche est convaincue que si elle perd c’est parce qu’elle n’est jamais assez radicale, elle est convaincue que la bonne manière de battre la droite c’est d’être toujours plus à gauche, c’est le schéma léniniste, celui qui postule qu’il faut toujours l’extrême-gauche s’empare de la gauche pour être capable d’imposer à la société une rupture définitive sur laquelle on ne pourra pas revenir.

Devant cela, nous avons le RN, placé en tête des résultats dans 94 % des 36 000 communes du pays, ce qui est un résultat exceptionnel sur lequel on n’entend personne revenir, reflétant l’exaspération d’une majorité de la population à bout, RN qui pourrait donc avoir une majorité parlementaire. Mais ce n’est qu’un parti. Il ferait 60 % demain, ce ne serait qu’un parti. Parce que même à 60 %, il ne contrôlerait ni les associations, ni la magistrature, ni les syndicats, ni l’Université, ni les médias, et il demeurerait idéologiquement minoritaire même s’il est électoralement et politiquement majoritaire dans la population. Parce que la France est prise dans le maillage de la toile d’araignée gauchiste. Et cela annonce le choc à venir s’il y a demain l’élection d’un gouvernement du camp national, à l’occasion duquel on verrait que le pouvoir démocratique, sans être impuissant, est plutôt faible par rapport à tous les autres pouvoirs qui chercheront à le mater.

L’élection législative qui vient sera probablement la plus importante en France depuis 1981 et l’arrivée de Mitterrand au pouvoir. C’est l’élection de tous les réalignements qui couvaient entre certains, et entre des forces fondamentalement contradictoires. Et face au spectacle qu’offre cette droite qui dans toutes ses composantes s’invective, se déchire, entre le RN refusant l’alliance avec Reconquête, la vieille garde systémique des LR en rupture contre Eric Ciotti, avec un Gérard Larcher négociant secrètement dans ce contexte des alliances électorales avec la macronie, le bloc de gauche paraît beaucoup plus résolu dans sa volonté de conquérir le pouvoir et de l’exercer, qu’une droite qui joue à Game of Thrones dans ses affrontements et ses divisions, et qui va peut-être mériter une fois de plus le qualificatif qui lui colle à la peau depuis si longtemps, celui de la droite la plus bête du monde. Ses électeurs et sympathisants sont désemparés, ils ressemblent à des enfants du divorce, dans la crainte que cette possibilité offerte par Emmanuel Macron de le chasser et d’accéder au pouvoir se transforme en une majorité de gauche à la prochaine assemblée.

Et restent les observateurs n’appartenant à aucun de ces bords, les convives de pierre, qui considèrent que toute cette cuisine demeure celle d’un régime qu’ils rejettent, qui diront que donner sa voix c’est consentir au tripot, et que si l’on blâme la peste il ne faut pas en cultiver les rats.